Histoire Risa

Des plaines à pertes de vue, une atmosphère douce et agréable, c’est ce que décrivent généralement les habitants et touristes de Kage Berg. Si nombre de villageois prospèrent avec l’élevage de vaches et de moutons, ce n’est pas le cas de la famille Grynberg. Depuis des années, le couple survit en vendant continuellement des fleurs et des légumes dans leur petite propriété. On y raconte que c’est ici, dans ces jardins, que les roses sont les plus belles et les plus parfumées. C’est évident, car Scarlet Grynberg est la meilleure fleuriste de l’île depuis son jeune âge. Un jour, elle est tombée amoureuse d’un étranger et a décidé de l’épouser, de se marier après quatre années d’amour en recevant de sa part le cristal le plus beau de ce monde, une Rose de Givre. Toi, Risa Grynberg, fille unique de ce couple, tu es née au printemps, à la période de l’année où les bourgeons de rose éclosent…

Une lame, plus exactement un sabre repose sur le haut de la cheminée en guise décoration. Tes billes océaniques observent en silence cette chose dangereuse laissée à une hauteur inaccessible. À croire que ton père l’a totalement fait exprès depuis que tu as réussi à saisir l’objet il y a un jour de cela. Son état est déplorable, l’acier est fissuré et de petits morceaux se sont échappés, laissant des trous à cette épée ornée d’incrustations de flocons sur la garde. Roswell n’a jamais évoqué une quelconque histoire sur cette chose et Scarlet ne veut pas en parler. Ta curiosité bat à son plein, toi qui es seulement âgé de six années. Un jour tu souhaites découvrir la vérité et être certaine que ton papa doit être un valeureux chevalier.

Tu sais que ton tendre père cache derrière ses vêtements des cicatrices qui ne proviennent pas du jardinage. Si les enfants de ton âge imaginent que ton paternel s’est battu contre les épouvantails des potagers pour sauver ta mère jouant le rôle de la princesse en détresse, toi, la rouquine, tu crois à un autre conte. Les vilains pirates. Oui, ces gens méchants qui naviguent sur les mers pour trouver des trésors. Ce sont peut-être ces vilains qui sont les auteurs des balafres sur le corps de ton papa. Toi Risa, tu rêves de pouvoir te battre contre ces malfaiteurs, d’être une héroïne pour sauver la veuve et l’orphelin. Alors, la gamine que tu es, tu pousses la chaise de ta maman. Les pieds en bois grincent contre le plancher. La discrétion n’est pas ton fort. Essuyant ton front avec ton avant-bras tout en soupirant par ton incroyable effort, la petite fleur que tu es monte sur le siège pour tenter d’attraper ta convoitise : le sabre.

Une voix grave, mécontente t’empêche de saisir l’objet. Tu fermes la couverture de tes cristaux azur qui est immédiatement humidifiée par tes larmes. Ô toi l’enfant tu es chagrinée à cause de ton père qui est intervenu pour stopper ton action. Tu pleures en t’attendant déjà à une remontrance. Mais n’est-ce pas plutôt un sale coup de ta part pour récupérer le trésor ? Un caprice finement préparé qui marche souvent avec ta mère. Malheureusement, c’est inefficace pour Roswell. De plus, tu es puni par ce numéro. Te voilà contrainte d’aller aider ta mère à t’occuper des roses.

Tu rejoins ta daronne, mécontente de ne pas avoir eu ton dû. Cela fait rire Scarlet qui t’apprend à arracher les mauvaises herbes. Tu n’es pas encline à réaliser ce devoir barbant…

« Ces vilaines choses volent les nutriments des roses, ma chérie. Comme les pirates qui pillent les pauvres gens sans défense. Arracher leurs racines c’est comme faire la police pour permettre à nos fleurs d’être tranquille. Tu comprends Risa ? »

Tu gonfles tes petites joues, tu fermes tes poings de détermination. Tu es prête à aider ces jolies plantes à prospérer en éliminant la nuisance. Comme d’habitude ta douce maman a les mots qu’il faut pour te manipuler à vrai dire, t’exploiter. Mais, tu ne lui en veux pas, car ta mère respire la gentillesse et tu espères un jour être aussi belle que cette dernière.

C’est alors que tu la vois. Dans la maison des voisins en compagnie du fameux chasseur qui est l’ami de ton père. Une enfant de ton âge à la chevelure identique aux bonbons de minuit qui est une fleur blanche poussant dans une île au nom qui t’échappe. Ta mère salut au loin son voisin pendant que toi, tu te réfugies derrière elle, complètement timide… C’est ainsi, que tu rencontres pour la première fois Éléonore…

Éléonore est ta première véritable amie. Une personne que tu apprécies énormément et avec qui tu passes beaucoup de temps. Quand tu es avec tes parents que ce soit durant le souper ou pendant que tu aides à entretenir le jardin, tu évoques constamment des sujets à propos de ton adorable voisine. Cependant, ta merveilleuse relation prend fin à tes douze ans lorsque ton père reçoit un jour, une lettre marquée d'un sceau où sont représentés une couronne et un flocon de neige. C'est après avoir lu cette correspondante que ton cher papa perd immédiatement son sourire légendaire.

Roswell prend la tragique décision de quitter cette île pouvant être considéré de paradis. Il doit retourner auprès des siens, dans le Royaume-Archipel de Sanderr. Ta mère n'hésite pas à l'accompagner, alors que ton père craignait que cette dernière refuse de quitter son île natale. Quant à toi, ô la petite rose que tu es, tu ne veux pas partir. C'est déchirant pour toi de quitter ton amie d'enfance, la seule qui compte énormément pour tes yeux d'un bleu océan…

Tes parents te laissent une semaine pour faire tes adieux, pendant que ces derniers préparent le départ pour North Blue, sur l'île hivernale où les élevages de vaches et de moutons n'existent quasiment pas. Tu penses à fuguer, à imaginer à vivre toute seule dans ta maison où tu y as grandi. C’est littéralement impensable pour toi de déménager. Tu as trop de choses sur Kage Berg et jamais ô grand jamais tu ne souhaites pas te séparer de ta merveilleuse partenaire de crimes. Tu n’as pas manqué d’évoquer ton mécontentement, de faire entendre tes caprices et de bouder tes géniteurs. Mais, tu n’as pas le dernier mot. Tu n’es qu’une gosse devant des personnes majeures et beaucoup plus responsable que ta personne.

Ta mère qui te connais si bien, qui comprend ta douleur malgré ton jeune âge, décide de faire un sacrifice pour toi. Car tu es sa fille, son petit trésor, son plus beau cadeau que Roswell lui a offert. La rousse qu'est ta mère te tend une boîte gardée précieusement par cette dernière. Elle te demande de l'ouvrir, action que tu réalises. Tes mirettes s'illuminent d'admiration, de contemplation sur la Rose de Givre reposant dans ce minuscule coffre. Ta douce maman te l'offre, déclarant que tu es plus précieuse à ses yeux que ce magnifique cristal translucide et brillant en forme de rose...

« Mais maman, c'était un cadeau de papa. Il va être fâché si tu me le donnes. » protestes-tu toi qui es perdu en tenant ce boîtier entre tes frêles petites mains.

« Je pense que ton père a d'autres soucis à s'occuper. Si tu tiens tant que ça à ton amie, offre lui ce présent. » Scarlet caresse tes cheveux d'une telle douceur que tu te surprends à rougir grandement. Tu reçois un baiser sur ton front et tu gonfles tes joues parsemées de taches de rousseur. « À toi de lui avouer les bons mots pour garder ce lien qui vous unit. Compris ma chérie ? »

Tu hoches ton visage, tu fronces tes sourcils déterminés à revoir une dernière fois celle qui remplit ton petit cœur de joie. Prenant ton courage à deux mains, tu frappes à la porte de tes voisins et tu demandes poliment à voir ta chère amie.

« Éléonore... » dis-tu difficilement en mordant ta lèvre inférieure et en retenant tes larmes. « C'est pour toi. Même si je pars loin, je penserais toujours à toi ! » Tu lui donnes la boîte tout en plaquant ta main sur ton palpitant. « Tu resteras toujours là-dedans. Alors, s'il te plaît, ne m'oublies pas en retour. » Tu cèdes à ton chagrin, te retenant de maudire tes parents de devoir partir de Kage Berg. Essuyant ton visage bariolé de larmes avec la manche de ta chemise, tu te permets de câliner une dernière fois cette douce amie ressemblant à la fleur nommée bonbon de minuit. « Quand je serai plus grande, je reviendrais te voir Éléonore. C'est promis. »

Ce sont tes dernières paroles avant que tu t'enfuies en courant pour rejoindre tes parents qui ont terminé les préparatifs. Tu regardes une dernière fois celle qui réchauffe ton organe battant, tu lui offres ton plus beau sourire malgré ta tristesse encore présente...