05 - Une petite souris utile

Une nuit comme une autre, une soirée de travail identique à celle d’hier. L’ennui tourne autour de la jeune femme qui cache son apparence de Nosfer depuis son début de boulot. Voilà bien une heure que Cassidy est assise derrière son comptoir, à regarder l’heure de sa montre à gousset tourner lentement, doucement. Aujourd’hui, l’ancienne mercenaire ne souhaite pas jouer le rôle de barmaid. Son esprit est ailleurs. Il rêve non point de cet endroit mais plutôt d’un être vivant. D’une jeune femme élégante, charmante et surtout très envoûtante. Sa chère et tendre Gwynevere n’a point besoin d’être du clan Malronce pour rendre follement amoureuse le palpitant de Cassidy O’Hara. Sa présence lui manque. Elle voudrait entendre à nouveau la douce mélodie de sa voix pour oublier sa mauvaise soirée… D’un long soupir, Cassidy écrase sa joue contre le ventre de sa main dont le coude se repose sur la longue table haute. Son regard carmin dérive sur la clientèle par lequel un groupe d’habitués s’amusent à jouer au poker. Un homme de la troupe se permet même de dire à la voyeuse qu’il n’y a point de place pour elle. La déclaration est prononcée avec amusement car voyez-vous, la cowgirl gagne toujours à ce genre de loisir. Ses victoires ne sont jamais obtenues à la loyale. Quand Cassie participe, la tricherie est constamment au rendez-vous.

« Le propriétaire du Monarque a réussi à corrompre certains de nos clients à ne plus venir chez nous, mère. » raconte Aurelia qui dépose des chopes vides sur le comptoir. « C’est ton ami Pierce qui m’a donné cette fâcheuse nouvelle. »

D’agacement, la langue de l’albinos claque sur son palais. Depuis quelques mois, un citoyen de Pitchhagen a ouvert sa buvette dans la même rue que l’Impératrice. Des rumeurs circulent que le propriétaire aurait la fâcheuse manie de faire couler ses rivaux. Une nuit, l’homme du nom de Fleming était venu se présenter à Cassidy tout en la prévenant que son bar à elle finirait par vieillir très rapidement. Craquant sa nuque en la penchant à droite puis à gauche, l’amoureuse du sang remplit les verres vides apportés par sa plus grande fille. « Je me fiche de cet emmerdeur. » grogne la mère en poussant les récipients pleins à Aurelia. « Moi au moins je ne sers pas de la pisse de Cerbère à mes clients. Cependant, ordonne à Pierce de continuer à surveiller monsieur Fleming. »

Pendant que sa fille commence à servir les clients assoiffés, Cassidy sort d’un tiroir une cigarette. Tapotant le bec de sa drogue sur le meuble en bois dans le dessein d’équilibrer le tabac qui s’y trouve à l’intérieur, la femme de soixante et un ans fait bruler le bout de sa cibiche avec l’aide d’une allumette. Elle secoue sa paluche pour éteindre le feu et ses lèvres pulpeuses pincent la sèche qui se consume doucement. Cassidy savoure ce moment, à dégrader ses poumons de cette saloperie tout en faisant le vide dans sa tête. La situation de son nouveau rival la préoccupe bien qu’elle montre l’inverse à ses filles. Des gens corrompus jusqu’à la moelle osseuse, il y en a des tas à Middlefall. Le nombre est également astronomique à Wastingham. Si son bar commence à faiblir, c’est à cause de ces merdeux qui osent marcher sur ses affaires. Si elle avait gardé ses réflexes de mercenaire, ses rivaux auraient d’ores et déjà pris la poudre d’escampette. Toutefois, la Nosfer n’est plus aussi forte comme avant. Elle est maintenant désireuse de se poser, de ne plus jouer avec le feu. Arrivera-t-elle vraiment à le faire ? Pour le moment…la réponse n’est guère positive…

Bayant aux corneilles, se frottant l’œil gauche puis en déposant ses lunettes de vue qui n’ont aucune correction contre son nez, Cassidy s’apprête à prendre congé pour aujourd’hui. Vanessa ou Sylvana qui se repose actuellement dans leurs chambres à l’étage, prendra la suite du service. S’apprêtant à avertir l’aînée de ses filles, Cassidy se stop en chemin lorsqu’une nouvelle cliente pointe son museau dans l’Impératrice. Les sourcils neigeux de la jeune femme se haussent de surprise. Ses babines font tomber la cigarette à moitié consumée. Jamais ô grand jamais la cowgirl se serait doutée d’accueillir la conseillère qui s’occupe du pôle citoyenneté…

Écrasant de sa botte sa drogue qui aurait pu chauffer un peu trop le plancher du bar, Cassidy contourne le comptoir pour reprendre du service. Ses heures supplémentaires ne seront malheureusement point ajoutées à son salaire. « C’est un honneur de vous accueillir dans mon bistrot, madame la conseillère. » prononce l’albinos qui s’incline légèrement, main sur le cœur. Une attitude qu’elle a apprise durant son enfance…elle qui possède malheureusement…le sang d’un couple de noble. « Que puis-je vous offrir ? »

Elle ne s’attendait pas à rencontrer une autre conseillère au sein de son établissement. Même si l’Impératrice est vieille de vingt ans, sa publicité n’est aucunement aussi haute et populaire que les bistrots de Skyguard. Dans un premier temps, l’albinos pense à l’idée que cette charmante demoiselle c’est tout simplement paumé dans le taudis. Son ventre devait alors gargouiller ou son gosier avait besoin de s’hydrater. Ou dans un deuxième temps, sa bien-aimée aurait conseillé l’établissement de la Nosfer à sa collègue de travail. Dans ce cas, la cowgirl se tenait prête à reprendre du service pour satisfaire les besoins de sa cliente. Par simple déduction, après d’innombrables années d’expérience, Cassidy élabore la théorie que la consommatrice n’est pas faite pour boire de l’alcool. Une déduction qui s’avère juste lorsque les cordes vocales de la conseillère vibrent pour exprimer l’envie de l’assoiffée. Un cocktail d’herbes ou un autre jus similaire conviendrait aux besoins de la nouvelle venue. Une demande assez rare mais très originale. D’un simple hochement de son visage, la reine de l’Impératrice se place dos à la dame, dévoilant ainsi l’emblème Deadlock Rebels cousu au derrière de sa veste sans manche. Deux mots qui à l’heure d’aujourd’hui n’ont plus aucun impact important pour la rebelle.

Minutieusement, Cassidy rassemble les ingrédients -sur sa table de travail derrière le comptoir- qui malheureusement sont nettement plus difficiles à trouver dans le marché contrairement aux constituants de ses alcools. C’est d’ailleurs la raison de pourquoi les boissons non alcoolisées sont nettement plus coûteuses dans le bar. À Middlefall, un simple vendeur peut donner des substances assez louches qui peuvent servir à des noirs desseins à un prix très dérisoire. Demander lui de l’eau potable et le concerné quémandera une fortune. Le monde d’aujourd’hui est fait ainsi, surtout dans les villes basses qui sont constamment sous l’ombre de l’impressionnante île flottante…

Mais passons. Cassidy ne va point s’en plaindre pour autant. Son commerce marche plutôt bien. Elle arrive à survivre malgré la concurrence. En quelques minutes, le cocktail sans alcool est servi à la demandeuse. Il s’agit d’une recette de la maison, mélangeant verdures et fruits. Ce n’est point un jus de luxe pourtant les rares clients de l’Impératrice détestant l’eau-de-vie raffolent de ce doux breuvage. Elle espère donc que cette conseillère sera satisfaite de sa commande, sinon la réputation de la buvette en pâtira. Mieux vaut déplaire à un simple voyageur sans but plutôt qu’à un individu haut placé dans la société.

Arquant l’un de ses sourcils neigeux, surprise que la cliente connaisse son nom, ou du moins demande si elle se nomme vraiment Cassidy O’Hara, la Nosfer ne prononce aucun mot, préférant tirer une oreille attentive aux autres paroles de la conseillère. D’après sa cliente, la réputation de l’Impératrice est plutôt bonne et de ce fait, la dame souhaite s’assurer de ces exactitudes. « C’est exact, je n’ai point changé d’identité. » susurre d’amusement l’albinos. « Chez nous, le client est roi. » déclare la gérante qui nettoie quelques verres trempés à l’aide d’un chiffon rouge. « Enfin, si le consommateur respecte les règles de mon établissement. »

Le règlement pour consommer dans le bistrot n’est point une mer à boire. Même un gosse arriverait à le suivre sans problème. En effet, tant que les boissons sont payées et que ses filles n’ont subi aucune agression, l’acheteur n’a aucun souci à se faire. Certains ont tenté de jouer avec le feu et ces mêmes gens ne peuvent désormais plus entrer dans l’Impératrice. Inutile de raconter les mauvaises histoires, le sujet deviendrait un peu trop sanglant par moments.

Terminant enfin sa vaisselle puis essuyant à l’aide du chiffon les quelques traces de saleté sur les verres ronds de ses lunettes de vue qui n’ont aucune correction, l’albinos qui cache son apparence de Nosfer porte une grande curiosité sur la nouvelle venue. La voilà qui s’intéresse aux affaires du bar ayant appartenu à son défunt mari. Pourquoi donc une telle question ? Est-elle une proche de ce monsieur Fleming qui désire faire couler l’entreprise ? Si la présence de sa chère et tendre Guynevere -actuellement conseillère du pôle armée- détend l’amoureuse du sang, ce n’est absolument pas le cas pour cette dame s’occupant du pôle citoyenneté.

« Je survis à la concurrence. » finit par avouer l’albinos qui ne souhaite nullement mentir. « Je pense même à chercher un deuxième travail pour survenir aux besoins de mes filles. » Enfilant sa paire de lunettes au milieu de son nez fin, Cassidy ne perd pas une seconde pour se griller une deuxième clope. La première ayant été écrasé par son soulier, Cassie espère pouvoir profiter un peu plus de sa drogue. « Et vous madame la conseillère ? Vos activités se portent-elles à merveille ? » questionne la curieuse qui rejette la fumée toxique de ses poumons depuis ses lèvres maquillées d’un rouge élégant. « Je suis surprise que vous ne soyez pas accompagné de quelques soldats. » note la gérante qui se souvient que la collègue de sa cliente est constamment suivit par un ou plusieurs membres de l’armée.