Quelle maladresse

Liliane O'Connord

Assise sur un banc, genoux contre ton ventre, tu mâchouillais doucement la pointe du bouchon de ton stylo à bille de couleur rouge. Depuis une petite heure, toi la chanteuse de rock tu tentes de composer des chansons dans ton calepin détenant plus de cent pages. Tu dois être actuellement à la vingtième feuille car ce n’est nullement la première fois que tu tentes d’écrire des chants -pour l’instant sans succès- qui pourraient bien se marier avec ta voix de diablesse. Oh non, tu ne comptes pas abandonner ton groupe que tu apprécies tant mais l’envie de faire tes propres musiques en solo te titille souvent l’esprit. Tu n’en as pas parlé à Flora, ta petite sœur, ton ravissant Tarsal, de peur de la décevoir. Dans le passé, son ancienne propriétaire à débuter une carrière en solo en abandonnant si bien Flora mais aussi le groupe tout entier. Sa convoitise : la célébrité. Au fond de ton être, cette garce est devenue ta rivale en matière de musique, de chanteuse car cette femme malhonnête continue d’enlacer le rock dans ses chants et de voir qu’elle obtient de plus en plus de fans t’écœure. Ce n’est nullement de la jalousie, tu es juste dégoûté qu’une personne de son genre arrive à percer dans le monde de la musique contrairement à des honnêtes personnes. Prise dans une colère monstrueuse, tu casses sans le vouloir ton stylo à bille en deux t’écorchant au passage le pouce. Ton regard océan se perd dans la gouttelette de sang qui s’échappe progressivement du petit orifice situé sur la pointe de ton pouce. Machinalement, tu te mets à sucer le sang sans y sentir le goût à l’aide de ta langue. Tu es tellement sotte que tu te blesses pour une idiote. Il va falloir changer de disque ou de micro avant de composer des fausses notes…

Te retirant de l’endroit confortable -du banc- dont tu étais depuis des heures, tu jettes le pauvre stylo dans une poubelle pour ensuite quitter le parc que tu as trouvé tout à l’heure. Ayant bien rangé ton carnet dans la longue poche de ton blouson vert détenant une petite moumoute sur les bords de la capuche, tu enfiles tes mains dans tes poches pour reprendre le chemin de ton domicile -de l’appartement loué par ton manager- car depuis quelques jours tu effectues des concerts dans ce coin. Il te semble que tu es déjà à ta deuxième représentation à Nemerya. Le public était plus nombreux qu’à Fort-des-Songes sûrement parce que tu es en plein centre de Lumiris. Tu peux apercevoir au loin l’immense édifice du professeur Baobab. Le bâtiment qui porte une architecture moderne donne beaucoup de charme à cette ville. D’après les documentaires, le prof est quelqu’un qui est très perfectionniste, pointilleux, des défauts qui sont pour toi des qualités. Tu aimerais un jour pouvoir le rencontrer, afin de pouvoir échanger et d’en apprendre plus sur les Pokémons, ces adorables créatures dont tu n’as pas vraiment eu la chance de connaître avant d’être chanteuse. Comme disait souvent ta mère, ton métier d’avenir passe avant ces créatures. Au moins, grâce à l’acharnement dont tu as fait preuve, te voilà membre du groupe des Red Leaf, un rêve qui s’est exaucé.

Une goutte de pluie s’effondre sur le long de ton petit nez que tu détestes tant. Tu frissonnes à cause de la froideur de cette eau tombant du ciel. Tu lèves tes paumes à mi-hauteur de tes épaules en te demandant si une pluie arrive. C’est après quelques secondes que le mauvais temps fait son apparition, ternissant la beauté de Nemerya. Ayant oublié ton parapluie, tu tentes de trouver un toit pour éviter l’averse froide qui se prépare. Tu as juste eu le temps de franchir une boutique que le torrent glacial survient donnant un concert privé aux rues de la ville. Reprenant ton souffle, peu habituée de courir aussi vite -comme si ta vie en dépendait- tes narines se mettent à bouger lorsque l’odeur de friandises se fait sentir. Des saveurs qui dansent dans le magasin mais ne te donne pas l’eau à la bouche car tu es dans un magasin d’alimentation pour Pokémons. Ce n’est donc pas anodin que tu te retrouves dans un tel endroit. Tu dois ravitailler ton inventaire de bons petits plats pour Flora -ton Tarsal- ainsi que de son nouvel ami. Tu espères qu’ils ne feront pas trop de chantier dans ton appartement, souhaitant les laisser seules pour que tous deux se construisent un lien en ton absence, lien qui sera tu l’espères…amical…

Prenant un panier, le remplissant peu à peu, jonglant, t’aventurant dans les nombreux rayons, tu ne pensais pas qu’un drame allait se produire. En effet, emprisonnée dans ta bulle, à repenser à des paroles pour une future musique, tu entends l’avertissement d’une jeune femme. Avant que tu aies eu le temps de te retourner pour voir ce dont il s’agit, une pyramide -qui devait être très difficile à construire- s’écroule sur toi, comme-si tu étais un aimant pour ses boites de conserves. Tu as juste le temps de lâcher ton panier, plaquer tes avant-bras à ton visage avant de recevoir ce cadeau si bien attentionné -ou pas-. Tu te retrouves au sol, sonnée, sentant des douleurs à ton corps mais rien de grave. Ce n’est pas comme si tu recevais tous les jours une pyramide de conserves en pleine poire. Horrible ! Tel est le mot de cette situation qui intervient sur toi. « Oui, oui. » réponds-tu un peu agacée à la maladroite en te relevant difficilement. « Je ne suis pas morte, donc tout va bien. » dis-tu d’une voix douce cachant ton énervement à propos de cette situation fâcheuse. « Je vous pardonne. Ça peut arriver… » termines-tu ta phrase en devenant neutre.

Préférant ne pas intervenir entre le vendeur furieux et l’auteur de cette maladresse, tu ne peux t’empêcher -lorsque le propriétaire de la boutique retourne à sa caisse- d’aider la jeune femme à refaire cette fichue pyramide. Au moins tu es plus forte pour créer une pyramide de boîtes de conserve plutôt que le morceau d’un chant de rock. « Et vous ? » demandes-tu soudainement à la maladroite. « Pas de bobos ? Comment avez-vous fait pour créer ce malentendu ? Vous n’avez pas ramassé la boîte qui se trouvait à la base de la construction tout de même ? » Tu continues de lui sourire en ne souhaitant aucunement être en colère sur ce qui t’est arrivé. À quoi bon créer des tensions…pour une simple maladresse…

Liliane O'Connord

Ton regard agacé par la catastrophe que tu as subie n'est pas passé inaperçu aux yeux de l'auteur de ce désastre. Tu l'observes détourner immédiatement son regard pour se focaliser sur la construction de cette nouvelle pyramide. Oh tu aurais pu être plus sympathique dans ton expression mais disons que tu digères mal le fait de mentir à autrui. Tu as toujours été direct, tu es entière dans tes propos, ce qui attire souvent la foudre au lieu de faire venir le soleil. Ton palpitant te pince car tu détestes être froide envers les personnes mais tu t'épargnes le fait de t'excuser. Tu es nullement fautive de cet événement tragique. Tu t'arrêtes alors d'aider la personne un petit moment, perdu dans tes pensées.

Tu observes avec assistance la boîte de conserve que ce soit du titre, de la date de péremption mais également de ce qui est composé à l'intérieur grâce à la petite notice. Tu écarquilles légèrement tes orbes maritimes en découvrant que cet aliment fera parfaitement l'affaire pour Flora. Il regorge de plusieurs ingrédients adéquats pour son régime alimentaire. Tu te mets donc à sourire faiblement de cette découverte. Au final, ce n'est peut-être pas anodin que ces boîtes de conserve se soient écroulées sur toi, manquant au passage de te tuer...

Après avoir questionné la demoiselle sur la chute de la pyramide, cette dernière finit par te répondre tout en rougissant. Tu lui adresses alors un doux sourire en évitant cette fois d'y émettre ton regard agacé. Alors la maladroite était bel et bien intéressée par une boîte qui servait d'équilibre, de base à ce petit monument alimentaire. Tu t'en doutais fortement. Tu ne sais du coup pas vraiment quoi penser de cette jeune femme. Tu te contentes de reprendre la construction, de l'aider au lieu de juger cette personne que tu ne connais absolument pas. L'une des nombreuses erreurs de l'être humain, c'est de juger quelque chose sans connaître son histoire.

Lorsque tu termines une rangée de l'édifice architecturale de votre pyramide, tu apprends l'identité -le prénom- de la douce personne maladroite. Liliane ? Il s'agit d'un ravissant prénom. Tu te mets ensuite à glousser un léger rire sur sa remarque à propos d'explorer la région au lieu de faire tomber des pyramides alimentaires. « Je m'appelle Akiza. Akiza Kyoko. » te présentes-tu d'une voix angélique qui n'est définitivement pas identique lorsque tu chantes sur scène. « Je suis la deuxième chanteuse dans le groupe de rock Red Leaf. Donc quand je n'aide pas à refaire une pyramide de boîtes de conserve, je donne mon âme dans le chant. »

Tu remarques seulement maintenant que ton interlocutrice préfère user du tutoiement que du vouvoiement. Tu peux penser pouvoir adapter cette même approche pour mieux communiquer. Ce sera moins gênant, du moins tu l'espères. Te levant pour continuer l'avancer de la pyramide qui arrive au niveau de ton cou, tu penches légèrement ta tête sur le côté gauche tout en fixant intriguée la demoiselle. « Tu es aussi propriétaire de Pokémons ? » Tu lui montres la boîte de conserve. « À ton avis, est-ce un bon aliment pour un Tarsal ? Flora est assez difficile sur le choix de nourriture. J'ai l'impression d'être le propriétaire d'une petite princesse. » dis-tu en riant doucement dans ta barbe invisible tout en finissant pour de bon une autre rangée de la pyramide qui devrait être terminée...